Décalages / Charles-Louis de Montesquieu, Lettres persanes
Huit mois et un bébé plus tard, me revoilà coincé sur cette même terrasse, les muezzins prennent leur élan, dans une consonance toute relative mais polirythmée. Un silence. Quelques mouvements de barbes et de tarbouchs n’interrompent pourtant pas les discussions anglo-françaises ni la vente par les enfants des bijoux de pacotilles. Ma voisine vient de repérer six chaises plus loin quelque célébrité et s’empresse d’aller se faire parapher sa carte postale, décidemment…
Tiens, c’est Polanski entends-je. Une autre le regarde déjà dans le viseur de son téléphone portable après avoir retiré ses lunettes Chanel, comme pour se sentir plus proche de l’éternité, ici sur la place du néant !
Mon thé a infusé trop vite et les quatre verres s'achèvent dans l’amertume d’un goût de déjà vu. Ah Usbek, comme tu savais relater les faits !
La prière est terminée et on sent un léger reflux. Il serait tant pour moi d’aller nager un peu. Mais mon regard s’arrête d’abord sur cet étalage d’œufs d’autruches. Un septuagénaire encasquété d’orange, comme le petit groupe qui l’accompagne, tente de photographier le commerçant sorcier. Celui-ci se lève, s’approche de lui et lui assène un coup de genou. La casquette étonnée rejoint très vite ses comparses et s’enfonce dans le souk, le Nikon entre les jambes, à la recherche sans doute d’une victime plus conciliante.
Soudain, au loin, un petit amas de militaires encadre une pointure un peu plus large qui, une bouteille de Sidi Ali à la main, semble veiller au bon déroulement du roulement. D’un geste du menton, il envoie l’un de ses satellites tout de brun costumé faire respecter d’un « Hey, Sidi Mohammed, agi !»* la ligne arbitraire qu’il aura tracé sur la place et faire ainsi déménager au serveur les quelques tables qui enfreignent sa loi. L’ordre revenu, le petit groupe de Sa Majesté s’en va terrasser d’autres dragons.
Quant à moi, ma deuxième théière terminée, je m’en vais chercher maintenant le moyen de trouver en moi et pour quelque temps la respiration équilibrée du stoïcien nonchalant.
Tiens, c’est Polanski entends-je. Une autre le regarde déjà dans le viseur de son téléphone portable après avoir retiré ses lunettes Chanel, comme pour se sentir plus proche de l’éternité, ici sur la place du néant !
Mon thé a infusé trop vite et les quatre verres s'achèvent dans l’amertume d’un goût de déjà vu. Ah Usbek, comme tu savais relater les faits !
La prière est terminée et on sent un léger reflux. Il serait tant pour moi d’aller nager un peu. Mais mon regard s’arrête d’abord sur cet étalage d’œufs d’autruches. Un septuagénaire encasquété d’orange, comme le petit groupe qui l’accompagne, tente de photographier le commerçant sorcier. Celui-ci se lève, s’approche de lui et lui assène un coup de genou. La casquette étonnée rejoint très vite ses comparses et s’enfonce dans le souk, le Nikon entre les jambes, à la recherche sans doute d’une victime plus conciliante.
Soudain, au loin, un petit amas de militaires encadre une pointure un peu plus large qui, une bouteille de Sidi Ali à la main, semble veiller au bon déroulement du roulement. D’un geste du menton, il envoie l’un de ses satellites tout de brun costumé faire respecter d’un « Hey, Sidi Mohammed, agi !»* la ligne arbitraire qu’il aura tracé sur la place et faire ainsi déménager au serveur les quelques tables qui enfreignent sa loi. L’ordre revenu, le petit groupe de Sa Majesté s’en va terrasser d’autres dragons.
Quant à moi, ma deuxième théière terminée, je m’en vais chercher maintenant le moyen de trouver en moi et pour quelque temps la respiration équilibrée du stoïcien nonchalant.
* ce qui signifie approximativement : « Heh machin, viens ici !»
Plus tard, jardins de la Coutoubia,
Si les touristes sillonnent l’allée principale, les chemins eux restent l’abri tranquille des oiseaux et des jardiniers affairés, mais aussi des amoureux qui entament leurs premiers flirts sous l’œil bienveillant de la vénérable mosquée. Un chien endormi abuse de la pelouse et ne demande qu’à poursuivre son effort.
Les palmiers frémissants, le ciel gris, me laissent penser qu’il me faut rejoindre maintenant femme et enfant, bientôt fermer l’œil et oublier les sons du Maghreb fleurissant.
Si les touristes sillonnent l’allée principale, les chemins eux restent l’abri tranquille des oiseaux et des jardiniers affairés, mais aussi des amoureux qui entament leurs premiers flirts sous l’œil bienveillant de la vénérable mosquée. Un chien endormi abuse de la pelouse et ne demande qu’à poursuivre son effort.
Les palmiers frémissants, le ciel gris, me laissent penser qu’il me faut rejoindre maintenant femme et enfant, bientôt fermer l’œil et oublier les sons du Maghreb fleurissant.
M.S.
Un lien en lien avec les questions évoquées ci-dessus
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